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En retard pour donner un « avis » sur cette livraison estival de notre magasine préféré (dans son domaine,ne rêvons pas trop et n’énervons pas les autres), pour cause de « déjà trop de truc à lire embarqués dans les valises », il est temps de se pencher plus avant sur le contenu.

Afin de ne pas être trop original, ça risque toujours de froisser des neurones, prenons les choses dans l’ordre. L’édito, m’a laissé un goût pas amer mais assez métallique, de fer blanc en bouche. Le style est là, c’est cohérent (pas comme certains chroniqueurs du Monde dont je vous parlerais un jour tellement leur prose boulimico-foutraque mérite le détour surtout dans le domaine des sciences, bref), bien écrit mais je ne suis pas certain d’avoir compris le propos. L’aspect « vive la science » pondéré par un certain catastrophisme (donc « faisons gaffe tout de même ») m’a paru manquer cruellement de diversité… enfin, non… plouf plouf… cela m’a paru trop peu social pour tout dire, un peu comme les articles de science et vie junior que je dévorais étant gamin. Un aspect assez « théorique » récapitulatif qui débouche sur des considérations sur les publications SF, et le lien me semble ténu ou peu « pratique ». Dès lors je me retrouve perdu dans le propos de cet édito, est-ce que l’intro est un long prétexte ? Enfin, bref… j’y reviendrais peut-être un jour.

Ensuite, on attaque avec du lourd avec rien moins qu’une nouvelle de Greg Egan, à en faire le « pape » de la sf moderne on pourrait se dire que l’intro en fait trop. Une fois la nouvelle terminée on se dit que « tout de même il est fort cet Egan ». Ce n’est pas un écrivain du beau, j’ai beau en lire beaucoup je ne lui trouve toujours pas cet amour gratuit du mot, de la sonorité, du rythme dans la phrase, en ce sens il y a toujours une forme d’utilitarisme qui me gêne chez lui. Les nouvelles que j’apprécie le moins chez lui me semblent toujours de très bonnes idées, de foutus concepts, étayés avec force science (que je ne comprends souvent pas entièrement voire pas du tout) mais peu ou pas d’histoire, un aspect un peu glacé mais pas glaçant. De fait, j’ai souvent peur que les amateurs ne le lisent pour de mauvaises raisons, un peu comme si l’on passait notre temps à regarder une série tv pour savoir si le diagnostic du docteur est bon… quel intérêt, autre que le challenge. Mais, lorsqu’il est bon – quand ça me plaît- cet auteur devient un conteur, le beau est rarement au rendez-vous mais l’efficacité se tourne du côté du pédagogique, du précis qui flamboie, du détail qui tourmente, le sens de l’ellipse, du rythme de l’ensemble, la précision qui tape au coin du bon sens, tous ces éléments s’assemblent pour donner à l’ensemble un aspect dantesque.
Ici tout est là !
La capacité de réfléchir sur un problème pratique et contemporain, l’intelligence artificiel. Des données techniques précises qui font rêver et des problématiques morales complexes. Le coup de génie c’est de montrer qu’un personnage qui a les moyens de ses ambitions (loufoques ou non) peut se lancer dedans à corps perdu, ce qui ne veut pas dire qu’il se moque des conséquences morales ou qu’il n’en a pas cure. Egan, ne construit pas un « grand méchant » qui se moque de l’éthique, il montre un humain à l’oeuvre. C’est d’autant plus génial, que tout tourne autour de la possibilité de créer une intelligence artificielle en faisant se succéder des générations d’êtres… je ne vous en dit pas plus (leur forme est originale est saisissante !).
Les problèmes soulevés, expérimentation, langage, tuerie, procréation, science… le sont rapidement, avec maestria (vraiment!) et tout va faire une fin vraiment intéressante, car elle mélange l’aspect symbolique (le feu), ironico-pratique (le choix de l’assistant) et original, dans le sens où elle montre que devant un tel événement le choix duelliste peut-être hors de propos.
Un très grand texte. (pour tout dire, à la fin, j’ai aussi mieux compris l’édito !).

Ensuite on passe à Laurence Rivière, que je ne connais pas et qui vu son année de naissance doit se dire que se retrouver entre Egan et les Rémy dans Bifrost ça mérite une mention spéciale. On pourrait également se dire qu’en dehors de la joie de vivre, légitime, que procure cette position, il faut une sacrée qualité pour ne pas finir écraser par ces deux presses livres. Ou alors que la personne en charge du choix des nouvelles et de leurs places est un peu dingue. Heureusement (pour nous), très vite ce texte s’impose. Déjà par sa très, mais alors très, bonne idée. Si l’on regarde rapidement on s’aperçoit que les français sont bons dans les programmes courts, y’a pas à dire depuis quelques années nous savons faire rire ! Il n’y a pas que par (le génial) Astier, de scènes de ménages à caméra café en passant par pas mal de série sur le net, nous savons y faire dans le comique de situation (on pourrait d’ailleurs réfléchir au « conflit » entre fais pas ci fais pas ça et modern familly et montrer que le comparatif serait assez complexe au final) nous avons aussi des idées intéressantes mais qui aboutissent rarement car là les scénaristes semblent tirer la langue (sous les coups de boutoir des producteurs ?) l’homme de fer nouvelle version (cain sur france2) s’est vite écroulée, idem pour candice renoir dont les histoires de cœur ne sont plus crédibles ou plus drôle… mais les idées étaient bonnes. Or, dans le même temps, chez nos amis anglais, ça n’hésite pas. Imaginez, ils ont adaptés du J K Rowling, pas harry potter mais un autre roman plus « banlieue » avec réussite et savoir faire, mais ce n’est pas tout ils ont osé et réussie à adapter Pratchett !!! Ou encore Sarah Waters ! (des amours victoriennes et saphiques ! adaptées pour la télévision) ou encore David Peace (des enfants violés avec des ailes de cygnes cousues dans le dos sur fond glauque et pluvieux de l’Angleterre des 70′) et j’en passe, et ils n’ont pas toujours des budgets à la hbo (femme nue corps huilés bonjour).
De là on pourrait se dire « en France on sait pas faire ». L’idée de l’auteur c’est de dire, avec raison, que SI en France on sait faire, nous avons tout ça. Et la forme de son plaidoyer est un long article pour nous raconter « facteur X » une série française qui dure depuis 40 ans et qui raconte les aventures d’une facteur transdimensionnel ! rien de mois ! Un glissement du doctor who en quelque sorte. L’article faisant l’historique de la série (qui n’existe pas, ne cherchait pas) l’auteur s’éclate à y faire passer les plus grands de Vian, à Caro et Jeunet en passant par Jean Pierre Dionnet (si tu me lis M Dionnet, un salut anonyme et amical de plus pour toi, parce que ta voix à la radio ça reste whaou !) entre tout un tas d’autres.
L’idée est jouissive, pour plusieurs raisons.
Déjà parce qu’elle n’évite pas les écueils, la série rencontre de mauvais acteurs, de mauvaises adaptations (par Pierre Richard et les charlots !), des mauvais réalisateurs (Besson), de mauvais choix, plusieurs morts et plusieurs renaissances… ce qui lui donne un aspect réaliste (et doctor who encore) et florissant.
Parce qu’elle prouve (s’il y en avait besoin) qu’en France nous avons ce plus que potentiel fantastique que le roland Wagner, les Dionnet, les Wul ces centaines d’auteurs, scénaristes, réalisateurs, producteurs (rendez-vous compte que nous avions sans doute la seule émission du monde proposant à des dessinateurs de dessiner et de s’amuser en direct !!! pourquoi avoir arrêté ce genre de truc pour de la téléréalité… franchement de fun et d’original en étant populaire il reste fort boyard !) et oui depuis le matin des magiciens, depuis Vian, depuis et avec tant d’autres.
C’est une hérésie et une connerie de croire que nous ne savons pas faire, que nous n’avons pas les moyens, que … nous avons un passé (et un présent et donc un avenir) de production sf, fantastique, branques, glauques qui coule dans nos veines. Cette nouvelle le met intelligemment en avant et ça fait plaisir.
Dernier point marquant, la forme « article » qui est parfaitement maîtrisé. Les petits rappels historiques, les digressions pour préciser tel ou tel fait, les morceaux choisis d’entretiens, le vocabulaire, la fausse neutralité… tout cela concours à rendre le tout crédible, on se croirait dans un vieux dossier de mad movies ou chez Bifrost (nan, mais si!).
On a envie d’ergoter sur certains choix (lanoux c’est aussi « la smala » et pas que le truc brocante là), de voir certains projets aboutir.
C’est donc bien foutu et bien mené!
Maintenant, j’y vois aussi une sorte de joie contemporaine, un aspect culturel dans lequel on peut tout mélanger avec plaisir, pour faire plaisir à l’amateur de culturel dite « bis », une sorte de brouet pour affamés, de volonté un peu trop grande et trop large, car, à mon sens, la nouvelle manque non pas d’écriture mais d’un zeste de personnalité ou de folie, cela reste très cadré (c’est normal vu l’exercice) mais justement peut-être un peu attendu, sans être tout à fait prévisible non plus, et puis je pinaille.

Après, cette longue digression autour de ce deuxième récit, on aborde (hisse ho…) le récit de Yves et Ada Rémy, que je ne connaissais pas du tout avant ce numéro de Bifrost c’est vraiment l’un de ces moments où l’on se dit que c’est génial de découvrir des choses même si l’on manque de temps et d’argent pour tout lire. Une nouvelle d’une simplicité et d’une efficacité exemplaire, une sorte de haïku de la flippe au coin du feu. Un petit prisme intimiste, une mise en abîme douceâtre comme un bonbon aux plantes que l’on apprend à aimer les années passant, le couple se met en scène dans son métier, recueille un témoignage et nous plonge dans une histoire de fantôme à vous coller les miquettes sous la couette.
Le sens des détails, voilà c’est le seul ingrédient de cette histoire. des considérations sur les bières, des considérations techniques sur les avions, des termes précis, des phrases courtes marquant les hésitations, un changement de lieu pour pénétrer dans le coeur de l’histoire, autant de « petits riens » disséminés tout au long de l’histoire qui ne font rien d’autre que nous perdre en chemin (les fourbes!). On se croit en sécurité dans un récit réaliste, qui vous collerait aux chaussures comme un trop plein de boue après une sortie en quête de châtaigne (noisette, champignon…), quelque chose que l’on ramène en plus, dont on a l’habitude et qui finie par faire partie à part entière du rituel, on se sent bien. Puis, lentement mais surement, on glisse, on se décale, on croit savoir à quoi on a affaire -une histoire de fantôme c’est même noté dans le titre- de ce côté là rien de bien original, mais le traitement lui vous embarque avec lui et vous mène vers un plaisir rare.
Sans être une merveille de passion, une découverte littéraire ou un récit bouleversant, cette nouvelle est un très bonne exemple du genre. Savoir bien raconter une histoire, mettre en avant les éléments d’oralité nécessaire sans leur laisser toute la place, savoir rythmer le tout de l’intérieur par les césures adéquates, savoir ne pas trop en faire laisser des trous aux bons endroits (entre les détails) pour laisser libre court à l’imagination du lecteur sans tomber dans l’exagération, écrire un trompe l’oeil réaliste en somme, n’est pas chose aisée, le pari est entièrement réussie.
On en redemande.

Ce qui ne sera pas le cas avec la nouvelle de Swanwick. Le début est génial, une idée simple, une bonne idée. Une proposée de bureau se voit confier la tâche, difficile, de garder une porte de placard sans en connaître le contenu. Tout bascule quand son patron la surprend (de fort belle manière), car cela va l’inciter à pénétrer le : secret du placard. J’avoue voir été plus qu’emballer par ces premières pages, je n’avais qu’une idée, qu’une obsession savoir ce qu’il en était, le ton était vaillant, grave et tendre à la fois, en un mot : prenant. Impossible de résister à une telle tentation, impossible de ne pas imaginer mille choses, un régal. On pourrait arguer que, comme souvent, c’est la perte de cet imaginaire, la perte du moment d’espoir qui fait retomber le soufflet, mais non. Rien ne retombe vraiment, tout s’estompe plutôt au loin. Au fil des pages, on se retrouve dans une course de plus en plus effrénée vers le futur, des sauts spatio-temporels bigarrés, complexes (mais pas suffisamment, ils ne nous laissent pas sur le carreau, plutôt sur notre faim, frustrés) vers un final assez prévisible et follement peu original. Le début ne l’est pas non plus, mais il ne reposait sur aucune prétention, uniquement sur le fait de bien raconter les choses, de leur donner une saveur particulière; alors qu’en mettant dans ses bagages le sort de l’humanité la fin est plus carriériste, plus lourde à digérer aussi. Une bonne nouvelle car ce n’est pas écrit par un obscur mec de passage (dont votre serviteur) mais je ne me suis pas relevé la nuit.
Au final, je m’interrogeais sur la place de la deuxième nouvelle, alors que c’est la dernière qui aurait eu sa place en tête de liste pour, peut-être, moins souffrir d’une forme de comparaison.

Le cahier critique, je l’aime bien, enfin son édito (déjà c’est sympa), une liste de conseils en fin de cahier, pas d’étoile, pas de note, des styles différents, l’un des rares sur le marché que j’ai encore envie de lire. Ça tombe bien, y’a de quoi. Seul bémol, habituel, trop d’avis résument l’histoire ; difficile d’y échapper certes, reste tout de même des gros bouts trop informatifs à mon sens. Sinon, les avis s’y partagent avec délectation et envie, les plumes sont diverses et ça donne une bouffée d’air frais à ces nombreuses pages. La partie « critique des revues » m’a fortement donné envie d’aller lire quelques dossiers, en revanche on y lit souvent la critique de « ça a déjà été édité avant et ailleurs ». Si, effectivement, avoir un texte d’un auteur connu et en faire la couv’ relève d’une science du marketing assez primaire et ne relève pas vraiment du respect, il ne me semble pas -à moins de ne proposer que ça et encore une telle initiative (pour le peu qu’elle soit affichée et assumée) pourrait avoir du bon- que cela soit si gênant que cela au vu du nombre de livres de littérature de l’imaginaire qui ne sont pas réédités par ailleurs, pour le coup ça permet de diffuser. Enfin, ça se discute, ce n’est surement pas le lieu mais comme c’est une critique récurrente.

L’entretien avec les deux libraires est, comme souvent, intéressant. En revanche, ça me fait penser qu’on y évoque le gars « privat » et autre « chapitre », que plus loin une rubrique donne le palmarès de certains prix, il me semblerait que – parfois- aborder ce genre de problématique, les jurys, les critères, les grands groupes qui s’assument avec les librairies, les éditeurs qui en rachètent d’autres, permettrait d’y voir parfois plus clair, de mieux comprendre les enjeux, les tenants les aboutissants de certains politiques éditoriales.

Le dossier, un long entretien et une bibliographie complète, consacré au couple Rémy est, au risque de me répéter comme à chaque fois, absolument indispensable. On navigue dans une époque dont on parle peu (sous cet angle), c’est pragmatique (on ne vit pas de sa plume si aisément et essuyer des refus ça vous glace l’envie), précis, foisonnant (on passe de Trenet aux surréalistes en un clin d’oeil). Le récit d’une rencontre puis d’une passion commune (pas uniquement pour l’écriture) qui fait plaisir à lire. Des questions pertinentes, des photos bien utilisées, des… enfin bref, c’est une très bonne idée que d’avoir donnait un coup de projecteur sur ce couple dont la vie est loin d’être anecdotique et dont l’œuvre semble captivante.

Comme j’ai détesté interstellar (pour la majorité des raisons présentes dans la note 4 de l’article, c’est à dire un tombereau d’incohérences scénaristiques et narratives) j’attendais peu de cet article fleuve sur les trous noirs. Mal m’en a pris… je n’ai pas tout compris ! Quel plaisir que de ne pas tout comprendre, que d’en redemander que d’avoir à chercher des termes, à fouiller les liens donnés en fin d’articles ! Une part de la vulgarisation scientifique disponible sur internet me déçoit toujours, car j’y trouve des incohérences, des erreurs, des raccourcis, des gags en guise de travail de vulgarisation (Ameisen est souvent loin), et le succès amène une acceptation souvent globale de ce qui y est dit (ou des débats stériles), un engouement pour le forme, un aspect « génial ce cours, j’ai tout compris ». Sauf, que le temps d’apprentissage, de la compréhension est un temps long, un temps d’erreur, d’essais, d’expérimentation… pas uniquement mais tout de même. Comprendre « sur le coup » un principe physique complexe ce n’est pas comprendre la chute d’une blague.
On pourrait donc croire que ce genre d’article n’a que peu d’intérêt au vu des nouvelles technologie, il n’en est rien, bien au contraire. C’est plus dense, plus complexe et ça réclame d’attacher la ceinture à ses neurones (sans oublier de sourire tout de même !).
Un article passionnant que j’ai lu en petits bouts (en cherchant à côté donc) et qui permet de s’imprégner du « problème » avec précision.
Seul regret, l’aspect « les films de Nolan font réfléchir » que l’on retrouve en fin d’article. Que son aspect scientifique soit prétexte à réflexion, article ou autres, pourquoi pas, c’est une bonne chose. Mais, j’ai l’impression que le propos généralise un excès d’optimisme sous l’angle « si cela amène des personnes à la science c’est cool », personnellement le simple « coup du 4×4 » par temps de pénurie me fait dire qu’autant il repose sur quelques aspect scientifiques çà et là, autant il véhicule tout autant d’idioties.

Bref, parce que ça commence à faire longuet comme avis écrit sur le pouce, un numéro dense et très agréable, dont seule une nouvelle ne m’a pas emballé et qui va encore allonger ma liste de livres à découvrir.

Vivement fin octobre.