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La nouvelle qui ouvre ce deuxième volume de l’intégrale raisonnée (comme on dit) des nouvelles d’Egan est précieuse. Précieuse car elle permet, plus que d’autres, de cerner la démarche de l’auteur. D’un côté nous avons une histoire simple, un prétexte narratif d’évidence, une réminiscence littéraire ; de l’autre une complexité scientifique réelle dont les implications apportent la crédibilité et la peur à l’ensemble.

La complexité scientifique n’est pas une astuce pour écrivain en manque d’inspiration, lire la façon dont « la forêt se défend » ou les implications neuronales de tel ou tel produit dans ces pages c’est avoir à deviner ou à se renseigner, deviner les implications et conséquences pour les personnages et l’histoire ou partir se renseigner auprès de scientifiques pédagogiques et patients. Egan ne se repose pas sur une culture de surface, sur un discours faussement complexe pour cacher la vanité du vide, il impose la science au monde. En ce sens, il rappelle furieusement Jules Vernes, non pas que la science de Jules Vernes soit réaliste, mais elle est fascinante, dérangeante et surtout elle est partout (nier cette évidence c’est ne pas se souvenir des dizaines de noms de poissons cités dans vingt lieux sous les mers, par exemple, sur comment ces listes de mots en latin font et sont la réalité des descriptions). Egan n’explicite pas, il ne décrit pas, il donne à lire un monde horriblement cloisonner. Or cette thématique (du cloisonnement) vient faire écho à la simplicité de l’histoire. Ici la trame repose explicitement sur Conrad et des interrogations sur la nature humaine que ce dernier posent dans « au coeur des ténèbres ». Un homme important s’échappe pour des raisons inconnues dans un milieu hostile en envoie un tueur à ses trousses.
Cette histoire porte en elle, des trames plus anciennes, on y trouve l’essence des contes moraux ou de fables. Si ce n’est que l’imposition de la science, oblige le lecteur à être parti prenante de ce qu’il lit, les questions que soulèvent l’histoire ne sont pas en filigrane ou sous-entendu mais bien parti prenante de l’intrigue.

Egan tente cet équilibre improbable entre le fond et la forme. Seule la forme reviendrait à une roman d’aventure, teinté de considération géo-politique plus ou moins complexe, seul le fond donnerait lieu à des conjectures conceptuelles. En lien les deux, l’auteur se propose de nous faire nous interroger sur autant de thématiques et de valeurs, sur la définition de l’environnement et donc de l’homme, de ce qui fonde une personnalité et le libre arbitre.

Lire cette nouvelle, c’est – du moins pour le lecteur néophyte que je suis dans les domaines scientifiques abordés – accepter d’avoir besoin de comprendre, et admettre que cette curiosité ne doit pas rester lettre morte.

Il s’en dégage un charme malsain, quasi morbide, tant le ton – comme chez Conrad- y est dépourvu d’une empathie autre que celle inconsciente (chez l’homme) des gestes et des postures, dépourvu d’espoir et de toute notion de salut (on pensera au « manger ou être manger » qui règne dans la jungle). Charme qui pourra rebuter certains lecteurs.

Le récit, bien que court, développe également une esprit darwinien, un principe d’adaptation tout puissant qui, justement, semble refuse toute forme d’empathie volontaire. Ce « manque » fait naître un déséquilibre à la lecture, plus encore que les notions scientifiques abordées (je parle bien des notions, le vocabulaire étant une chose, mais le réalisme et le fantastique se côtoient allégrement dans les passages scientifiques ce qui mène à la paranoïa autant qu’à la curiosité).